Commissariat d'exposition & textes critiques.
Alexandre Nicolle
Alexandre Nicolle nous propose un état d’être en suspension face à une œuvre sans démonstration égotique. Il construit des objets qui font écho à la poésie du jour, peinture, volume, installation, les arrange en un recueil de situations, produisant un ensemble de formes qui deviennent attitudes.
Plutôt que de penser demain du soir au matin, il s’empare du boule de foin dans un cauchemar exotique, invoquant l’anecdote produite par un conformisme consumériste, à contre sens d’elle-même. PNL vibrant dans la vallée, la cave et le champ, la composition en « chiche-kebab » dont Pasolini parlait à propos de Pétrole. Celle qui, constituée de scènes faites d’allégories très simples, personnifications univoques de grands principes, est immédiatement lisible.
Alexandre, jouant des oppositions du réel, établit un tracé où tout semble diverger et se superposer. « L’angélus » de Jean-François Millet, quad, WhatsApp, Air max et roundballer. Booster en carton, campeur, Testarossa Koenig, « Drift King » et Leader price. Des connexions du vivant comme une langue est vivante, toujours en mouvement, toujours intimement asymétrique.
« L’angélus », peinture acrylique et encre sur toile, 160x240 cm, 2019.
La scène se répartit selon une structure simple et équilibrée.
Un couple occupe le premier plan d’une plaine à perte de vue.
Au son du tournoiement des pales d’éoliennes situées à l’horizon, ils se tiennent debout et consultent leurs téléphones portables.
Au second plan, un quad bleu, un sac orange, un golem fait de balles de regain assemblées et formant la silhouette géante d’une femme à dominante rougeâtre, vêtue d’un bikini noir.
Le tableau est divisé en deux parties.
Sur le tiers supérieur de la composition, Nicolle aménage un ciel sombre, vert de gris, ocre et gris.
Dans l’angélus, crépusculaire, les teintes froides dominent et sont liées à la dramaturgie.
Il noie dans un vert très dense les deux tiers inferieurs du tableau et fait surgir ses personnages grâce à un éclairage brutal équivalent à autant d’éclats de lumière digitale.
Les membres, les visages et les tissus sont achevés par des glacis.
Il raccorde le contour des silhouettes au fond sombre du sol en sculptant les souliers de course de touches mêlant les motifs blanc, noir, gris et verdâtre selon l’effet désiré.
Nicolle utilise peu de couleurs.
Ocre jaune et rouge, cinabre, vert de gris, bleu, noir. Par mélange, il en tire une quinzaine de nuances.
La peinture fonctionne, elle tient le mur, elle est couillarde. Ainsi conçue elle est la « Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient » de Diderot. Une tentative de se connaître et de se penser ; autrement dit, de se voir ou de se saisir dans notre condition d’êtres plongés dans la complexité de nos langages.
Puis le travail du volume apparaît dans l’espace. Six « boîtes à Kebab » en porcelaine, devenues reliques émaillées au regard de l’interdiction récente d’usage des boîtes originales, faites de polystyrène. Un vélo sans roue, au pédalier actionnant la broche qui permettra de cuire la viande d’agneau au rythme adéquat. Les personnes présentes pourront boire et manger. Elles pourront voir et entendre. Elles pourront se rencontrer, éprouver une simple altérité.
Il y aura quelque chose du théâtre pauvre de Grotowski lorsque Alexandre actionnera le dispositif le soir du vernissage.
Michael Kern.